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Le conditionnement de la viande humaine
Résumé :
Capable d’entendre toutes les pensées humaines, même les plus secrètes et les plus enfouies, un homme devient le témoin privilégié des souffrances, des frustrations de ses semblables. Aliénés par le travail, par l’impératif de consommation, les êtres qu’il croise ressemblent de plus en plus à des objets, des produits.
Après avoir assisté à un suicide, le témoin rencontre et séduit celle qui deviendra l’héroïne de l’histoire. Il lui donne à entendre toutes les plaintes silencieuses qu’il perçoit.
Pendant ce temps, l’animal libéral rôde et continue d’imposer son pouvoir, aussi cynique que monstrueux…
Publié en mars 2015 par les ETGSO (Écritures Théâtrales du Grand Sud-Ouest) dans la collection théâtrale - Volume 25
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EXTRAIT 1
FEMME 1 : Mon âme est en plastique. Mes idées sont préfabriquées, livrées en kit, prêtes à assembler. Mon sang est un dérivé de pétrole, il est lourd de l'horreur et de la guerre. Au fond de mes yeux, un éclairage artificiel, néon lumière industrielle. Regardez-nous : vidés de toute substance, manufacturés, conditionnés. Nous subissons chaque jour le même traitement qui nous laisse la bouche vide de mots, le corps inerte, sans volonté, l'esprit contenu, sous influence. Nos plaisirs, nos joies sont sous cellophane, rien ne peut les abîmer, mais nous n'y avons plus accès, nous caressons le plastique, elles palpitent là, derrière, mais sans nous. Voyez comme ils ont l'air heureux ces gens sur l'affiche, dans le catalogue, c'est ce bonheur-là que je veux moi aussi, je veux vivre là avec eux, cette vie-là, sans souffrance, sans injustice, où de beaux enfants rient, où tous ces gens parfaits s'aiment d'un amour parfait, sans angoisse, je veux cela, laissez-moi y entrer, je veux bien payer, je vais acheter ce canapé, mais garantissez-moi que c'est cette vie-là que je vais vivre. Laissez-moi être la femme de l'affiche :
− Mon amour, regarde comme nous sommes heureux sur notre beau canapé.
− Oh oui, ma chérie, tout est prévu pour notre bien-être.
− Je crois qu'ils vont nous donner des enfants.
− Oui, un garçon et une fille. Et des amis aussi.
− Oh comme nous sommes heureux...!
EXTRAIT 2
LA FUTURE HÉROÏNE : Quand on tient dans ses mains un nouveau-né, un chaton, un oiseau, on sent la vie en lui, et en même temps, il est si petit, on a tout pouvoir sur lui, on peut le lâcher, le projeter contre le mur, le faire mourir en un instant. C'est un pouvoir démesuré qu'on a alors. Mais on n'a jamais la curiosité malsaine de voir ce que ça ferait, on n'a même pas la négligence de le faire par accident. On sait qu'on a une responsabilité en tant qu'être humain. Des gens ont mon existence entre leurs mains, mais ils agissent sans cette conscience, sans aucun respect pour ma vie. Pourtant ces gens ne sont pas différents de moi, ils ne sont pas plus sadiques, ils feraient attention de ne pas blesser le bébé, n'importe quel bébé, même un chien, ils l'éviteraient avec leur voiture. Alors, quoi ? Mon existence vaut moins que celle d'un chien ? Peut-être s'ils sentaient mon cœur battre entre leurs mains, ils se rendraient compte, ils feraient attention à ma vie. Peut-être s'ils sentaient mon souffle, ma chaleur, ils ne me laisseraient pas tomber, ils ne seraient pas négligents, pas aussi indifférents.
EXTRAIT 3
FEMME 1 : Vous voyez ce canapé ? C'est 500 courriers tapés, 328 heures à répondre aimablement au téléphone, à supporter les hurlements de mon patron et la lâcheté de mes collègues, plus de 2 mois à me lever aux aurores, à ne pas prendre de petit-déjeuner pour gagner une demi-heure de sommeil. Aujourd'hui, je le regarde, je le regarde bien et je le trouve affreux. Et ridicule, comme ma vie.
LE TÉMOIN : Elle a soudain envie de le brûler, ou bien de l’éventrer, le lacérer, le déchirer, le défoncer, le mettre en pièces… Finalement, elle s’assoit dessus, elle allume la télévision : c’est l’heure de son feuilleton.